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Témoignage #Lubrizol


Une fois n'est pas coutume, j'ai besoin d'exprimer ce que ressens. C'est un drôle de sentiment qui n'a pas de nom je crois puisqu'il va de la tristesse à la colère en passant même par l'humiliation.

Tout se bouscule en moi depuis le 26 septembre 2019, il y a deux jours, lorsque Lubrizol a pris feu.

Je ne vais pas vous refaire la voix-off de BFM TV, juste vous expliquer comment nous l'avons vécu, nous, riverains directs de cette usine Seveso "seuil haut", fabriquant des additifs pour lubrifiants.

 

La nuit du 25 au 26 septembre, je suis malade, je me réveille à 2h et ne me rendormirai pas. J'entends des détonations au loin en me persuadant que c'est mon état semi-vaseux qui me joue des tours. Je laisse tout de même mon esprit divaguer et m'imagine en train d'évacuer les enfants en pleine nuit en cas de bombardement (oui, j'ai quelques névroses... :/). La nausée reprend vite le dessus et chasse cette idée loufoque de mon esprit.

De nouvelles détonations se font entendre plus tard, je ne prends même pas la peine de regarder l'heure. Je ne suis jamais réveillée aussi longtemps la nuit, c'est probablement des "bruits de nuit" : des camions qui vident leur chargement, la circulation qui résonne...

La nausée me rappelle, je retourne m'isoler dans la salle de bains. Cette fois j'ai pris mon téléphone, je voudrais tout de même m'assurer que rien de grave n'est en train de se passer. Je fais dérouler mon fil d'actu Facebook et je tombe sur un partage de ma copine Sophie, "Photo de Lubrizol rive gauche en direct" :

Il est 5h02.

Lubrizol se trouve au bout de la rue, à 100m.

Je file avertir mon mari. Je suis malade comme un chien, je manque de discernement et lui confie la patate chaude, il saura probablement mieux quoi en faire que moi. Effectivement, il s'habille rapidement et file dans la rue pour constater de lui-même l'ampleur de "l'incident" comme l'appellent aujourd'hui les dirigeants de Lubrizol.

Suivra une suite d'explosions sans fin.

Mon mari rentre à la hâte, à l'instar de bon nombre de nos voisins qui étaient eux aussi sortis, inquiets.

Ça frappe aux porte, ça sonne, le monde s'agite.

"On se barre de là !"

Nous réveillons nos enfants, et filons vers un parking de supermarché 3 km plus loin, où nous retrouverons quelques uns de nos voisins et assisterons, impuissants, à ce spectacle affligeant. Chacun a le poste de radio allumé, on attend des consignes, des informations.

6h11 : l'Alerte Petit-Quevilly nous avertit que les riverains de moins de 500m doivent restés confinés. Trop tard. Nous ne savions pas quoi faire pour notre sécurité et avons préféré fuir.

7h : les réveils s'époumonent probablement dans notre maison vide, personne ne les éteindra ce matin.

Les enfants sont en pyjamas et nous ne pouvons plus rentrer chez nous.

Nous avons fini par nous réfugier chez des amis, à Cléon, dans le sens inverse du panache de fumée et avons pu regagner notre foyer en début d'après-midi.

 

Le Préfet se veut rassurant :

"On peut sortir, aller travailler. Il faut éviter les déplacements superflus. Nous n'avons pas relevé de toxicité aiguë lors des premières analyses".

Lorsqu'on voit l'épaisseur, la lourdeur et la noirceur du panache, on ne peut pas penser qu'elle est anodine. Aucune fumée ne l'est (on n'a même pas le droit de brûler ses déchets verts), alors comment peut-on douter de la toxicité d'une combustion d'hydrocarbures ?

Nous prend-on pour des jambons ?

N'avez-vous pas quelque chose d'un peu plus consistant que cette ignoble part de flan ?

Sur le site de la Préfecture, on peut aussi lire : "Malgré une odeur désagréable le risque pour la population reste faible."

Puis, on voit défiler les photos de riverains sur les réseaux sociaux :

Un tantinet l'impression redondante qu'on nous prend pour des cons...

Et hier soir, le coup de massue m'achève, je lis l'article de France Info relayant (enfin) les discours des dirigeants de Lubrizol.

Morceaux choisis :

  • "Pour le moment, notre préoccupation c’est de sécuriser le site pour permettre aux salariés de revenir travailler dans les bâtiments."

  • "(...) on n'avait pas imaginé qu’un départ de feu se déclare dans cette zone-là où il n’y a pas d’activité, seulement du stockage. On est extrêmement étonnés"

  • Les priorités aujourd’hui pour l’usine, c’est de "sécuriser le site. Il va falloir déblayer beaucoup de choses qui ont brûlé, il va ensuite falloir mettre en place un entrepôt et puis remplacer ce qui a brûlé. On sait que tout ce qui n’a pas brûlé est en bon état apparemment, donc c’est une bonne chose déjà, il y a quand même une bonne partie de l’usine qui peut fonctionner"

En gros, il n'y a pas de sujet, c'est bien ça ?

Cette usine (installée à cet endroit bien après les habitations alentours) va maintenir la psychose en relançant son activité ?

Les riverains confinés chez eux depuis jeudi car l'air est irrespirable n'ont pas le droit à un peu plus de considération que ça ?

Isabelle Striga, vous êtes "embarrassée"?

Quid des agriculteurs et des éleveurs concernés par le passage du panache ?

On va se faire voir avec nos éco-gestes, c'est ça ?

On a les boules...

Nous n'avons pas été les plus impactés, bien qu'habitant au pied du monstre, car les vents soufflaient pile poil dans le sens opposé. Nous ne subissons pas les mauvaises odeurs et nous n'avons aucun dépôt dans le jardin.

Des amis ayant quitté Rouen pour habiter au vert se sont retrouvés bien plus incommodés par le panache.

Cette usine a largement assez fait parler d'elle. Si ces gestionnaires ne sont pas capables de maintenir le haut niveau de prévention, qu'ils ferment ! Lubrizol, on ne veut plus de toi !

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