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Il faut bien habiter quelque part...


Ville, campagne, maison, appartement... Où que l'on ait choisi d'habiter, on doit faire des concessions entre le confort et les nuisances.

Il y a 13 ans, nous habitions en plein centre de Rouen, dans un appartement.

A pied, on avait accès à tout : à nos jobs respectifs, au marché place Saint-Marc le dimanche matin, aux terrasses de café en fin de journée... Cependant, entre les voisins et la proximité d'un centre pour SDF, l'appartement était assez bruyant.

Lorsque nous avons décidé d'investir dans la pierre, nos recherches se sont donc naturellement orientées vers la campagne. On rêvait d'un grand terrain et de soirées calmes au coin du feu.

Au fur et à mesure des visites, la réalité nous a rattrapé. Le temps qu'il nous fallait pour regagner notre appartement, selon les horaires, était fou.

Nous travaillons à Rouen, il va falloir faire ça deux fois par jour ? Tous les jours...?

Nos amis vont vraiment faire la route pour venir nous rendre visite ?

Une fois que nous rentrerons chez nous, aurons-nous le courage de ressortir ? Habiter en campagne signerait notre isolement, c'est sûr !

Le cercle de nos recherches se rétrécit. Malheureusement, plus nous nous rapprochons de Rouen, plus nos rêves de jardin et de cheminée s'éloignent... Les budgets ne sont plus les mêmes.

Je finis par tomber sur une annonce au Petit-Quevilly : une maison ancienne avec petit jardin, cheminée, 3 chambres, 2 garages, ça sonne pas mal !

Lorsque l'agent immobilier m'accompagne en voiture jusqu'à cette maison, je me rappelle exactement le chemin que nous avons emprunté. Nous sommes passées sur le pont qui enjambe la Sud 3 au niveau de la sortie ZI Quais de Seine et sommes tombées nez à nez avec le monstre.

T'es moche le monstre et puis tu fumes trop, ça te donne mauvaise haleine.

Lorsqu'on se gare, je suis convaincue qu'on n'habitera jamais ici. Mais par correction pour l'agent et les actuels propriétaires, je suis tout de même le parcours de visite.

On commence par le jardin, il est petit mais finalement ce n'est pas plus mal, ça demandera moins d'entretien.

J'entre dans le séjour, la cheminée est là, imposante. C'est l'heure du dîner, ça sent la popote et ça ajoute une touche de convivialité à cet endroit. La cuisine est fonctionnelle, il y a un bar sur lequel je me projette grignoter des cochonneries et descendre des bières entre amis.

Je visite le garage, le salon, les deux salles de bains, les trois chambres.

Les pièces sont bien distribuées et malgré un agencement qui ne me plaît pas, j'arrive tout à fait à me projeter, je suis même conquise !

Suivront une visite avec mon namoureux et une visite avec nos parents avant que nous ne décidions que cette maison serait notre.

Elle est parfaite, le budget nous convient, nous sommes à 3km du centre ville de Rouen, nous avons un accès direct à l'autoroute pour Paris, nous sommes près d'un pôle de loisirs regroupant bowling, cinéma et restaurant, on sera bien, c'est sûr.

Le monstre qui fume, c'est lui le risque. Le notaire nous rassure en nous disant que de toutes façons, tout Rouen est une zone à risques.

C'est une formalité.

Les années passent, le pont Flaubert vient s'ajouter aux ponts existants nous offrant un accès direct à la ville où habitent mes parents, les hangars alentours sont détruits, un écoquartier est en projet et nous nous félicitons assez régulièrement d'avoir eu "le nez creux" en choisissant de nous implanter à cet endroit.

Aujourd'hui, j'ai 40 ans, mon namoureux est devenu mon mari et deux enfants sont venus égayer les photos de famille.

La semaine dernière, le monstre a fumé comme il n'avait jamais fumé et empesté comme il n'avait jamais empesté.

Peut-être n'avons nous pas eu tant le nez creux que ça?

Sur les réseaux sociaux, je vois mes voisins qui témoignent de la nuit d'angoisse qu'ils ont vécue, des jours d'inquiétude qui ont suivi et je lis dans les commentaires qu'il "faut vraiment être con" pour venir s'installer à côté d'un monstre.

Je me remets en question, je ne m'étais honnêtement jamais posé la question.

On fait toujours des concessions lorsqu'on vient habiter quelque part, non?

Sommes-nous coupables de quelque chose ?

N'a-t-on pas le droit d'être en colère de ne pas avoir été informés / aidés /guidés la nuit de l'incendie ?

D'avoir eu peur pour nos vies ?

Nous avons été victimes d'un accident qui n'aurait jamais du se produire si les consignes de sécurité avaient été respectées. Pourquoi nous mettre la tête dans la vase ?

C'est tout un projet de vie qui s'effondre...

Nos maisons ne valent plus rien et nous ne nous y sentons plus en sécurité.

Il faut bien habiter quelque part...

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